C’est là que tout a commencé, un soir de 2009, assis sur le canapé devant un film. Et si on partait en roadtrip aux Etats-Unis? Jamais l’idée de voyager ne nous avait vraiment effleuré l’esprit. Puis c’est apparu comme une évidence, qui s’est rapidement transformée en obsession.
L’été suivant, durant 4 semaines, on a parcouru 7000 km à travers 6 états. C’était hier, et en même temps si loin. Je ressens encore les frissons et les nœuds au ventre que j’ai ressentis en descendant dans la fournaise de la Vallée de la Mort (Californie), devant Mesa Arch (Utah) qui s’embrase au levé du soleil, ou en attendant l’éruption incertaine de Grand Geyser (Wyoming). Jamais un autre voyage ne m’aura fait ressentir autant de sensations si puissantes. Jamais je ne me suis senti aussi vivant, entier. Ça a été le voyage d’un vie. Est-ce parce que c’était le premier? Ou simplement parce que la destination m’a renversé ? Je brûle d’y retourner, encore, encore et encore.
Comment raconter un mois de voyage ? C’est difficile, même si mes souvenirs sont encore intacts. J’ai choisi de simplement m’arrêter sur les lieux qui m’ont le plus marqué, en commençant par la Californie.
Yosemite National Park
Durée : 2 jours
Camping : Crane Flat Campground
Spots photo : Tunnel View | Glacier Point | El Capitan Meadow | Olmsted Point
Randonnée : Mariposa Grove | Tenaya Lake
Le parc national du Yosemite (prononcé « Yosemiti ») est le premier que nous avons visité, en venant de San Francisco. On traverse les étendues vallonnées de Californie, couvertes d’herbe brûlée par le soleil écrasant, pour ensuite s’élever peu à peu sur les flancs de la Sierra Nevada. C’est là qu’apparaissent les pins, partout.
Lorsqu’on arrive à la guérite à l’entrée du parc, il est déjà tard, bien plus tard que nous avions prévu. Comme on s’en rendra compte tout au long du voyage, aux Etats-Unis les distances peuvent paraître courtes sur une carte, mais c’est trompeur. Il faut bien prendre en compte les limitations de vitesse plus basses qu’en Europe, les distances énormes dues à la démesure du pays, et surtout les dizaines d’arrêts imprévus pour cause de (rayer la mention inutile) point de vue, café, artisanat local, point de vue, vie sauvage, point de vue.
On arrive donc assez tard au camping de Crane Flat, côté ouest du parc. En haute saison il faut absolument réserver ses emplacements de camping à l’avance, sur le site du National Park Service (NPS). Il y a une date d’ouverture des ventes et mieux vaut être rapide, certains camping de la vallée sont complets en quelques heures. A l’entrée, le ranger nous informe qu’ils ont vu des ours dans le coin ces derniers temps, alors on prend bien soin de tout mettre dans notre fameuse bear box afin d’éviter que l’un d’entre eux ne vienne fouiner chez nous (ce qui finalement arriva quand même) . On monte la tente, se prépare notre premier dîner sur le barbecue de notre emplacement, avec quelques bières, et on va se coucher.
Les nuits sont fraîches au Yosemite, dont le fond de la vallée s’élève déjà à 1200 mètres d’altitude. Nos duvets nous tiennent juste assez chaud avec les 2 degrés qui règnent dehors, et notre sommeil léger est interrompu par un bruit sourd de pas juste derrière nos têtes. Lorsque ces pas s’arrêtent et font place à un reniflement puissant, nos corps se figent, tétanisés. Aucun doute, il ne peut s’agir que d’un grizzli. Je me souviens avoir murmuré à Emilie la phrase la plus utile du moment : « ne bouge pas ». Comme si elle avait eu envie de bouger… Le ranger nous avait prévenu de leur présence, mais de là à imaginer que l’un d’entre eux viendrait renifler notre tente dès la première nuit… Heureusement, au bout de quelques minutes interminables, des bruits de casseroles et autres objets métalliques commencent à retentir tout autour de nous. Les locaux, plus habitués à la présence des ours, savent comment les faire fuir. Vingt minutes plus tôt on était sortis satisfaire une envie pressante, tomber nez à nez avec lui dans la nuit noire en pleine forêt aurait été une toute autre histoire…
Après cette nuit-là, Emilie, légèrement traumatisée, insistera pour qu’on dorme dans la voiture dès qu’on sera en forêt.
Yosemite Valley
C’est à peine remis de nos émotions qu’on part au petit matin direction la vallée. La route est sinueuse et au bout de quelques kilomètres commencent à apparaître les immenses falaises de granite. Elles posent le décor. Je ne pense pas qu’il existe d’équivalent chez nous. La démesure des grands espaces américains s’impose devant nous alors que l’on s’arrête à Tunnel View, il n’y a pas de mots pour la décrire.
Les photos ne lui rendent pas non plus justice. El Capitan, visible sur les photos précédentes, Mecque des grimpeurs venus du monde entier s’y confronter, s’élève à quelques 1000 mètres au-dessus de la vallée. On se sent tout petit.
Mariposa Grove
Il y a tant à voir dans le parc, dont d’innombrables randonnées, qui longent parfois des chutes d’eau de plusieurs centaines de mètres de haut. On choisit de se diriger vers le sud, pour voir les séquoias géants de Mariposa Grove. La route est courte sur la carte, mais en réalité il s’agit de plus de 50 km de petite route sinueuse, agrémentée de travaux en tout genre… En arrivant au Visitor Center de Wawona, il faut prendre un bus qui va jusqu’au bosquet de séquoias. Oui c’est comme ça qu’on dit apparemment, même si c’est plutôt un bon gros bosquet vu la taille des bébés. Dans le bus, un groupe de français perpétue la grande tradition des français en voyage, on dirait qu’il font le concours de qui est le plus beauf, bruyant et con. Avec Emilie, on se fait signe de ne pas parler afin que personne ne nous identifie comme français et ne nous associe à ce troupeau d’abrutis.
Arrivés sur place, on est accueillis par The Fallen Monarch, tombé il y a plus de 100 ans. La composition chimique du bois (riche en acide tanique) couplée à sa densité rendent les séquoias très résistant au feu, aux insectes, aux champignons ou moisissures, et de ce fait à la décomposition.
Il y a la possibilité de suivre les visites guidées ou non. On part de notre côté faire la boucle Grizzly Giant Loop Trail. On croise très rapidement le chemin de Grizzly Giant, plus grand séquoia du parc, âgé d’environs 2000 ans et dont les dimensions sont difficiles à appréhender : 64 m de haut, 30 m de circonférence et 8 m de diamètre à la base, pour un volume total de près de 1000 m3…
Il est difficile de retranscrire la majesté de cette forêt, la puissance qui se dégage de ces arbres millénaires. On a l’impression d’être Merry et Pippin au milieu des Ents, dans l’univers de Tolkien. Ce doit être impressionnant de s’y retrouver seul, rester assis dans le silence au milieu des géants.
On avait prévu de voir le coucher du soleil à Glacier Point. Mais il est encore tôt et la lumière est très dure, les photos rendent difficilement. Ajoutées à cela la route encore longue qui nous reste et la fatigue qui pointe son nez, on reste un moment à contempler la vue sur la vallée et on rentre au camping, en faisant un petit arrêt à Tunnel View.
Au petit matin, la lumière perce à travers les arbres, l’ambiance est calme, douce. On a l’impression d’être dans un lieu éternel, que rien ne vient changer au fil des âges.
Les sites de camping dans les parcs nationaux sont immenses, toujours en pleine nature, bien entretenus. On y trouve toujours une place pour se garer, plusieurs emplacements pour planter la tente, une table, souvent un « firepit » pour faire un barbecue ou simplement se réchauffer.
Contrairement à l’image préconçue que l’on peut avoir, aux États-Unis il existe une vraie conscience de l’importance des parcs nationaux et réserves naturelles, bien plus qu’en France par exemple. Grâce à leur notion de communauté, les américains entretiennent et préservent ces espaces qu’ils considèrent comme un bien et un héritage commun. D’innombrables projets de préservation sont menés bénévolement, notamment avec les écoles, afin de perpétrer cette tradition. De ce fait, les parcs et toute leurs infrastructures sont toujours entretenus et protégés. Les américains y sont très attachés, mais les touristes étrangers n’ont malheureusement pas toujours cette sensibilité…
Tenaya Lake & Tioga Pass
Aujourd’hui on quitte le Yosemite par le nord-est en passant par la Tioga Pass. Cette route qui culmine à près de 3000 m permet de rejoindre le Nevada, mais est parfois fermée jusqu’en juin. Il est nécessaire de bien vérifier avant de prévoir son itinéraire. On s’arrête à Olmsted Point et on prend le petit trail qui mène à Tenaya Lake.
Les points de vue se succèdent le long de la Tioga Pass puis en arrivant en bas, d’un coup, le paysage change radicalement.
Bodie Historic State Park
Temps consacré : 2-3 heures
Tarif : $8 / pers
On prend la direction d’un endroit qui nous semble bien mystérieux : Bodie, une ville fantôme. Située à 2500 m d’altitude, elle fut à la grande époque de la ruée vers l’or peuplée de près de 10 000 habitants qui vivaient de l’exploitation minière. La vie était dure, les hivers longs et rigoureux. On raconte que les bagarre, fusillades et hold-up y étaient monnaie courante. Au début du XXème siècle, lorsque le filon d’or s’est appauvri, les habitants ont peu à peu déserté les lieux. Une petite partie de la ville est restée debout, en l’état, comme une photographie du passé.
Après un bref arrêt à Mono Lake, on file ensuite vers la région de Mammoth Lakes où l’on doit passer la nuit, à Twin Lakes précisément. J’aurais voulu avoir plus de temps pour explorer cette région, entre désert et montagnes, remplies de lacs et de sources chaudes secrètes. Une bonne raison d’y retourner un jour. (Mise à jour : c’est chose faite en juillet 2019)
Lire l’article : Les sources chaudes de Mammoth Lakes
Le lendemain, on a rendez-vous avec un lieu dont le seul nom me fait frémir et qui va littéralement me renverser.
Death Valley National Park
Durée : 1 jour
Hôtel : The Ranch at Death Valley
Spots photo : Ubehebe Crater | Mesquite Flat Sand Dunes | Zabriskie Point | Artist’s Drive | Badwater Basin
Randonnée : Impossible sous 50 °C …
La Vallée de la Mort, on la sent venir de très loin. On descend, toujours plus bas vers la fournaise, au fil des lignes droites longues de dizaines de miles.
Les paysages sont immenses, lunaires, le vide vous prend par son omniprésence. Je pourrais y passer des jours, à rouler, juste rouler. La route y est un voyage à elle-seule.
La première fois où on sort de la voiture on est écrasés par la chaleur. Le vent infernal tourne comme dans un four géant. La peau brûle. La sensation dont je me souviens le plus, c’est celle d’avoir l’impression que mes cils étaient en train de prendre feu.
Sur le chemin, on s’arrête à Scotty’s Castle (partiellement détruit par des crues qui ont ravagé le parc en octobre 2015, et en travaux jusqu’en 2020 minimum), complètement désert. On monte ensuite voire les cratères volcaniques d’Ubehebe, où souffle un vent démoniaque, puis on redescend vers les dunes de Mesquite Flat. Là, le thermomètre affiche 123°F, soit 51°C.
A notre arrivée à l’hôtel, dans l’unique « ville » du parc, la bien nommée Furnace Creek (24 habitants), le réceptionniste nous annonce qu’il y a une piscine, on se dit OUF !! Puis il ajoute que c’est inutile d’essayer de s’y baigner, l’eau est brûlante… Alors comme maigre consolation, et pour remplir notre glacière, on cherche les machines à glaçons présentes dans bon nombre d’hôtels aux USA. Super on en trouve une : HS, la chaleur l’a tuée. Une seconde : HS. La troisième et dernière de l’hôtel : HS. La tuile… Notre dernière chance est d’en trouver à l’unique station service du parc, mais pour cela il faut reprendre la voiture. Le goudron du parking qui nous sépare d’elle diffuse une chaleur insupportable, on se dit que ces 50 mètres vont nous abattre comme ces malheureuses machines à glaçons. On respire un grand coup et on se lance. Enfin, on trouve ces maudits glaçons à la station service. Le temps de remplir quelques poches pour la glacière, le reste du sac de glace posé sur le goudron a fondu…
En été le camping est interdit et la plupart des randonnées également, car le danger de mort y est trop grand. Le soir c’est à peine plus supportable mais il ne faut vraiment pas rater le coucher du soleil à Zabriskie Point.
Mais si on veut explorer les lieux sans suffoquer, le mieux reste de se lever avant le soleil. C’est ce qu’on a fait pour voir Badwater.
Badwater Basin
Le bassin de Badwater (« mauvaise eau ») est une dépression, le point le plus bas d’Amérique du nord (86 mètres sous le niveau de la mer), recouverte d’un immense lac de sel asséché. C’est pour moi le plus bel endroit au monde. Pour l’atteindre, il faut emprunter une route qui longe une autre étendue au nom évocateur : Devil’s Golf Course, le terrain de golf du diable fait de sel et de boue cristallisée. On peut aussi faire un détour par Artist’s Palette, et ses roches aux couleurs pastel, ça en vaut vraiment la peine.
On s’est levés très tôt, on a acheté des muffins et une petite brique de lait à la station service, comme chaque matin, et on a roulé. Les paysages désertiques défilaient, monochromes et colorés à la fois, au son de Depeche Mode qui tournait en boucle dans la voiture. On a admiré le lever du soleil à Zabriskie Point, puis on est descendus à Badwater. A 7h30, il faisait 42 °C. On a marché une heure sur l’étendue de sel si blanche qu’elle nous brûlait les yeux, et on a déclaré forfait, le chaleur était devenue insoutenable.
Jamais un endroit sur terre ne m’a fait le même effet que la Vallée de la Mort. Je ne sais pas vraiment l’expliquer, c’en est même frustrant. Je lui en veux presque en même temps, car au sixième jour de mon premier voyage, elle m’avait ensorcelé et procuré des sensations que je n’ai, aujourd’hui encore, jamais retrouvées ailleurs…
C’est à contre-cœur que l’on doit donc la quitter. Après un petit crochet par Las Vegas, on met le cap vers l’Arizona.
La suite ici.
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